Une chaleur réconfortante flotte au cœur de la barrière protectrice qu’offre la pouponnière aux nouveau-nés. L’odeur enivrante du lait emplit les narines au sein de ce cocon maternel. Le temps agréablement rythmé par les respirations profondes des félins endormis en ce beau matin de printemps. L’enceinte est paisible. La douce mélodie des vagues léchant le rivage est à peine audible, mais elle berce tout de même les rêves les plus calmes, comme les plus fous. Un mouvement régulier ramenant des coquillages et tous autres éléments échoués sur la plage de sable fin, en train de se réchauffer sous les premiers rayons du soleil. Ou encore, plus près, les oiseaux récemment éveillés qui débutent des piaillements successifs formant des chants pour égayer la journée qui s’annonce haute en bonheur. Un environnement de joie, de fête…

Le monde des songes m’abandonne peu à peu, laissant place à la dure réalité. L’engourdissement est toujours présent dans mes membres. Les quelques paroles achevant un rêve répété chaque nuit résonne en force dans mon esprit… «Parfois, les rêves valent la peine d’être vécus. La vie est trop courte pour se tromper de chemin» Ces quelques mots sont ancrés dans mon esprit, dans mes entrailles. A l’époque, je ne comprenais pas ce que cela signifiait, et je n’en comprends toujours pas le sens en ce jour, mais j’espère en déchiffrer le message de sagesse qui s'y cache un jour ou l’autre.
Mes yeux sont encore clos lorsqu’une légère brise se fraie un passage à travers la pouponnière, me chatouillant le visage tout en m’apportant des effluves de gibiers fraîchement tués. J’entrouvre les yeux qui, par la force de la luminosité baignant au cœur de ce lieu, sont instantanément réduits à deux fentes. Mais après quelques instants, ma vision s’y habitue et me permet par la même occasion d’apercevoir les félins endormis tout autour de moi. Je suis lové tout contre ma mère, sa fourrure chatoyante me réchauffant lors des nuits plus fraîches. Je prends une grande goulée d’air, et le parfum de ma mère se repend immédiatement dans mes narines. Quelle odeur merveilleuse !
Je me lève lentement et étire mes membres engourdis. Je murmure à ma mère d’une voix aimante :

«- Maman ? Aucune réponse. Et oh, Maman ?»

Elle doit dormir. Je n’ai aucune envie de l’embêter pendant son repos bien mérité. J’observe ses yeux dans le silence le plus total. Je suis déchiré entre le désir d’aller dehors voir mes camarades de Clan, ou encore d’aller jouer, mais aussi le devoir qu’y me revient de prévenir ma mère de mes escapades. La dernière fois que j’ai omis la nécessité de la prévenir et que je suis sorti hors de mon camp, je me suis fait sévèrement punir. C’est ainsi que j’y réfléchis à deux fois à présent, avant de parti à l’aventure ou même dehors. J’opte donc cette fois pour la raison, et attends donc le réveil de ma tendre mère. Mais, on ne change pas un chaton comme ça ! Par impatience, je décide donc de forcer l’émergence de ma mère. C’est pour cela que je continu de murmurer tout en me rapprochant de l’oreille de ma mère :

«- Maman ? S’il te plait, réveille-toi»

La puissance de la curiosité m’inonde de plus en plus. Chaque seconde qui passe devient insupportable. Je trépigne d’impatience…

Petit Silex avait à peine eu le temps de poser sa question, que sa mère était déjà debout, sur le qui-vive. Il fallut un court instant à la belle chatte rousse avant de se radoucir, au moment même où ses yeux se posèrent sur le chaton, emplit d’impatience. Petit Silex la regardait. Quelle belle femelle qu’était sa tendre mère ! Une soudaine lueur d’inquiétude traversa les yeux de Jolie Fleur. Si vite, que le chaton se demandait s’il n’avait pas rêvé ce changement momentané d’humeur. Sa mère le tira de ses pensées lorsqu’elle le lécha avec douceur entre ses deux oreilles.

" Petit Silex, voyons, tu aurais pu me laisser dormir encore un peu... Surtout si tu veux me demander de sortir de la pouponnière..."

Petit Silex se recroquevilla. Il avait pensé bien faire, et voilà qu’il allait se faire gronder. Il ne savait plus que faire. La prochaine fois devrait-il sortir sans permission ? Ou devait-il attendre que sa mère le lui propose ? Il espérait de tout cœur que ce soit la première option qui était envisageable, mais il le savait bien ! Un chaton ne pouvait pas sortir sans autorisation. Il ruminait tout cela lorsque Jolie Fleur ajouta :

"Mais comme tu as été très sage ces temps-ci, j'accepte de te laisser sortir... A condition que je vienne avec toi bien sûr !"

Le chaton fut soulagé d’entendre ces quelques mots ! Il allait pouvoir sortir ! Depuis le temps qu’il attendait ça ! Oui, ce n’était que depuis ce matin même qu’il avait envie de sortir, mais Petit Silex attendait ça avec tant d’impatience que le temps eût l’air de s’être allongé. Le jeune félin allait sortir de la pouponnière lorsque la féline rousse entreprit de lui faire une toilette complète tout en ronronnant. Petit Silex gesticulait dans tous les sens et se débattait pour partir le plus vite possible de cette enceinte où l’odeur lactée règne en maître. Comme cela prenait trop de temps au goût du chaton, ce dernier poussa une petite plainte.

« Mais maman ! Je peux sortir !? »

Au bout de quelques instants, l’étreinte de Jolie Fleur se desserra, et le jeune félin pu se libérer. Il ne perdit pas une seule seconde de plus et courut en direction de l’entrée afin d’aller à l’extérieur.
Petit Silex avait besoin d’un léger temps d’adaptation pour que ses yeux puissent s’habituer à la lumière aveuglante du jour. Lorsque ce fût le cas, il leva la tête droite vers l’astre de feu illuminant le ciel. Le petit animal était en pleine observation de la boule incendiaire lorsqu’un bruit à quelques longueurs de queue de souris de lui attira son attention. Son regard se posa sur une feuille qui virevoltait au rythme d’une faible brise. Le félin s’accroupit et se mit à guetter les moindres soubresauts que pouvait effectuer la feuille. Au moment où une bourrasque souffla, et que l’objet de son attention passa en trombe juste au-dessus de sa tête, Petit Silex sauta et donna un grand coup de patte dans les airs. Lorsqu’il atterrit au sol avec maladresse, il fit une roulade pour rendre son action encore plus spectaculaire ! Puis il jeta un coup d’œil à sa patte, et fut ravi d’y découvrir la feuille qu’il déposa au sol. Des petits trous l’ornaient, là où ses griffes se trouvaient un peu plus tôt. Il recula, s’éloignant de la feuille, et attendit qu’une autre bourrasque la fasse s’envoler.

[Juste, tu t'appelles Jolie Fleur, mais tu écris Feuille Rouge, pourquoi ?]

Petit Silex exécuta ce petit jeu de nombreuses fois. Tout d’abord, il se mettait dans une phase d’observation, puis il sautait en étirant le plus possible ses petits membres de chaton tout mignon afin d’attraper la feuille qui virevoltait sous la puissance d’une douce brise de vent, caressant par la même occasion son échine. Et pour clore cette magnifique prestation, après des atterrissages légèrement maladroits, il faisait une élégante roulade pour rajouter une touche de spectacle !
Au bout de quelques instants, lorsque le félin se remit à pourchasser cette feuille, pleine de trous laissaient par ses griffes, il croisa le regarda de sa mère qui avait certainement dû sortir de la pouponnière un peu de temps après lui. La belle féline arborait majestueusement un pelage flamboyant, ornait à la perfection par deux yeux bleus turquoises. Sa queue, ici repliée autour de ses pattes dans une position assisse, était presque imperceptiblement plus foncé que le reste de son corps. Ce dernier, d’ailleurs était mis en valeur par quelques rayures, ainsi que sa queue et son joli visage et que ses pattes. Ce petit constat sur le physique de femelle  provoqua une réaction soudaine à Petit Silex. Il n’avait aucun point commun avec Jolie Fleur, qui était pourtant sa mère. Lui avait le pelage crème, avec le bout des pattes et de sa petite frimousse couleur terre séchée. Seuls ses yeux, bleus purs, pourraient se rapprocher de la chatte, mais eux également n’avaient pas la même variante que les siens. Petit Silex demeura immobile, la fixant. Jusqu’au moment où elle rompit le silence gênant qui s’était installé.

« Petit Silex, tu as faim ? »

Les pensées du chaton se dirigèrent presque instantanément vers le nouveau sujet de conversation. S’il avait faim ? Mais bien évidemment que oui ! Il mourrait de fin ! Son estomac était presque entrain de lui crier famine ! Le jeune chat se dirigea dans la direction de Jolie Fleur tout en acquiesçant avec un grand sourire.

« Oh, oui ! J’ai super faim m’man ! »

Ca bonne humeur fut de courte durée, car lorsqu’il prononça ses derniers mots, il eût un bref moment d’hésitation. Et si tout cela n’était qu’un leurre ? Petit Silex décida, curieux de connaître le fin mot de l’histoire, de questionner sa… La femelle.

« Jolie Fleur, je peux te poser un question ? »

Le chaton ne lui laissa guère le temps de répondre, il continua directement sur sa lancée.

« Comment ça se fait que je te ressemble pas ? C’est vrai quoi, tous les chatons ressemblent à leur mère ? »

Le félin inquiet de la réponse à venir, commençait déjà à regretter d’avoir posé cette question. Mais maintenant que la chose était faite, il n’avait plus qu’à espérer qu’il se soit fait de fausses idées.

Au moment où la femelle se figea devant lui, il regretta davantage d’avoir posé cette question. Les yeux de la guerrière trahir son immense douleur. Les traits de Jolie Fleur se décomposaient sous le regard gêné du chaton. Pourquoi avait-il posé cette question ? Cela faisait plus de mal que de bien au final. Soudainement, sa mère cria un grand « Non ! » ce qui décocha un étonnement sur le visage de Petit Silex. Semblant perplexe, sa mère se lança dans des explications qu’elle-même ne semblait guère croire, et ce, le petit l’avait bien remarqué.

« Eh bien ... Parfois les chatons ne ressemblent pas à leur mère, tu sais ... Il arrive qu'ils ressemblent plus à leur père, ou même à leurs grands-parents ... Et puis, nos yeux se ressemblent, non ? »

Ca dernière question le troubla. S’adressait-elle à lui ? Devait-il y répondre ? Ou…

« Oh, mince alors, tu as le droit de savoir ! »

Jolie Fleur coupa court aux interrogations du jeune félin. Elle se retourna et versa une larme. Quant à lui, il afficha un air dubitatif. Cette simple phrase avouait tant de choses. Cette magnifique féline n’était en réalité pas sa mère. La seule option était donc qu’elle l’ait adopté étant petit. Mais pourquoi lui avoir mentit sur une chose si futile ? Pourquoi ne pas lui avoir dit plus tôt, et pourquoi le lui avoir caché ? En tout cas, ce qu’il ressent pour elle était pourtant inexplicable, incomparable, plus fort que tous les mensonges au monde. Elle était tout pour lui. Au fond, c’est la plus belle preuve d’amour d’élever un chaton qui ne soit pas le sien, peu de félins en sont capables, il en était convaincu. Mais le fait qu’elle lui ait menti le déboussolé. Il n’avait jamais eu de secret envers elle. Il lui ouvrait son cœur comme à personne. Ils possédaient un lien sans faille tous les deux, un vrai lien entre une mère et son fils. C’était sa mère, sa mère à lui, et à lui seul. Peu importe l’origine biologique, ou non. Son cœur et son âme toute entière lui crie de ne pas lui en vouloir. Mais le mensonge le taraudait encore.

« Maman, ne pleure pas s’il te plait ! »

Il se planta devant elle, et lui essuya une larme avec le bout de son museau. Mais il ne pût s’empêchait de continuer sur sa lancé.

« J’aimerais savoir quelque chose… Pourquoi tu me l’as caché ? Je pensais qu’on se disait tout, qu’aucun secret n’avait sa place entre nous ? »

Petit la fixa avec ses beaux yeux bleus, attendant sa réponse.

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