Florence est en train de me préparer mon repas. Qui est Florence ? Ma Bipède. Elle s'occupe de moi depuis maintenant deux longues années. Je l'aime bien. Georges, c'est mon Bipède. Lui, un peu moins. Il est stressé et quant il est en colère, il pousse des cris qui me font mal aux oreilles. Malgré ce défaut, il est tout de même gentil avec moi. Il me caresse de temps en temps, pas très longtemps parce qu'il a du travail. Ils ont deux petits, Marie et Franck.

Franck est le plus âgé, je le trouve plutôt affectueux à mon égard, mais sans plus. Deux trois mots doux avant de partir pour le collège, et c'est tout. Alors que Marie, la plus jeune, je m'en méfie. Une fois, elle a tenté de faire faire un salto arrière, juste pour voir si je retomberais sur mes quatre pattes. J'ai atterris sur le carrelage froid et j'en garde un terrible souvenir. Une autre fois, elle m'a enfermé dans un placard durant une journée entière. Peut être rirez vous, mais sachez que une journée sans boire, et encore moins manger, plongé dans l'obscurité, ce n'est pas agréable. Loin de là. C'est pour ça que je l'évite dès qu'elle se montre à moins de deux mètres de moi. Pas que je ne l'aime pas, mais elle n'est pas très douce pour moi. Elle me prend pour une marionnette, et ça fait rire ses parents. Et je n'ose pas cracher sur elle, elle le rapporterait à Georges ou Florence et elle s'arrangerait pour que la vilaine boule de poils soit déposée à la SPA au plus vite. Je ne voudrais pas quitter mes Bipèdes, ils sont tout pour moi. Et finir ma vie confiné dans une petite cage avec pleins d'autres matous ne me plais guère.

Je cours vers la gamelle métallique. Le bruit des croquettes m'a réveillé. Lorsque j'arrive enfin au seuil de la porte de la cuisine, je vois Florence avec le grand sachet en main. Elle verse doucement dans le récipient. Même si je n'aime pas particulièrement les croquettes, je les mange. L'eau n'est pas très bonne, alors je bois dans les flaques d'eau, dehors. Quand il pleut. Sinon, je me force à laper ce liquide acide que mes Bipèdes me donnent.

Après avoir nettoyé soigneusement ma gamelle, je me dirige dignement vers la chatière. Je me retrouve maintenant dehors. Il fait assez beau. Le soleil brille, quelques nuages par ci par là. Je souris devant cette journée qui se présente plutôt bien. J'avance de quelques pas sur l'herbe fraîchement coupée par Georges. D'un saut mesuré, je bondis sur la barrière. Je m'assois, enroule ma queue autour de moi, comme pour me protéger et guette la rue du regard. Une voiture passe. Elle est rouge. Elle va vite. Lors de son passage, elle m'ébouriffe le pelage d'une telle façon que ma toilette complète juste avant de sortir est désormais inutile. Un peu contrarié, je m'ébroue majestueusement et me décide de quitter enfin mon perchoir.

À peine deux pas hors du Territoire de mes Bipèdes, je peux déjà sentir l'odeur d'un autre Chat Domestique. À vrai dire, je m'ennuie profondément, seul. Si seulement Neige était présente ... « Mais elle n'est pas là, Losange ! Cesse de te lamenter sur le Passé ! Oublie le et vis ta vie ! Neige fait partie du Passé, Foudre aussi, concentre toi sur le Présent ! LE PRÉSENT ! » Voilà ce que me soufflais une voix lointaine dans ma tête. Une voix en colère, qui me reprochais de radoter. C'est vrai que je m'attarde parfois sur des événements lointains, mais, il faut tout de même garder quelques souvenirs, non ? J'ignore cette voix dont l'écho reste encore un peu dans ma tête avant de s'éteindre doucement.

Après avoir humé l'odeur du Domestique, je suis le fumet qu'il laisse sur son passage. Je tourne à droite, une maison grise aux tuiles rouges foncés, celle de Maxime, le meilleur ami de Franck. J'avance tout droit pendant cinq minutes, je passe devant l'immeuble de Clara, l'ennemie jurée de la petite Marie. Encore quelques pas, et je suis tout proche du Chat. J'arrive enfin à sa hauteur. Je le regarde. Son pelage est couleur crème, ses pattes en partie noires, mais quelques poils blancs, la queue de la même couleur que sa tête, noire. Il tourne la tête dans ma direction et je peux observer un regard bleu intense qui me fixe. Il est assez jeune. J'agite la queue en signe d'amitié, il stoppe sa marche et je le rejoins rapidement. Je crois qu'il veut me parler. Mais je le devance. Un ton poli et amical.


« Bonjour. Qui es - tu ? »


[Losange a exactement le double de Lunes que Pacha xDD]

L'inconnu lâcha cette unique phrase. Son regard semblait ailleurs. Peut être pensait - il lui aussi au Passé ? Tout en repensant aux bons moments passés avec ma compagne et mon jeune fils, une lame coule le long de ma joue. Le félin a peut être remarqué ce léger détail ? En tout cas, mes yeux brillent et ma queue tremble. Il me répond d'une voix que je dirais neutre.

« Bonjour, je suis Pacha, un ancien Chat de Clan et toi ? »

Pacha. Je sens l'odeur des Bipèdes sur son pelage, mais moins forte que la mienne. Tenterait il de la cacher ? Je ne dois pas me mêler de ce qui ne me regarde pas. Alors je laisse cette histoire de côté et essaye de former une réponse courte qui suffirait pour raconter mon passé. Je suis né Chat Domestique, je me suis enfuis, j'ai voyagé longuement, j'ai renoué avec les Bipèdes et maintenant, je me trouve en face de ce chat, Pacha. Quand je pense qu'il faisait partie d'un Clan, je me demande la raison de sa présence chez les Bipèdes. Pourquoi ne pas avoir choisis la possibilité des Solitaires ? Chez les hommes, nous sommes forcément attaché à eux, pour plusieurs raisons ; Soit on apprécie les Bipèdes, soit c'est pour la nourriture ou encore pour échapper au Passé.

« Losange. Chat Domestique, mais je préfère me nommer Voyageur. À vrai dire, je n'aime pas particulièrement les Bipèdes chez qui je me nourris mais je suis fatigué de devoir chasser son propre repas, la peur du lendemain m'épuise. Avec eux, je n'ai pas à craindre de mourir de faim, ils s'occupent de moi mais je ne leur dois rien. Je peux, si je veux, m'en aller pour me changer les idées, et reprendre ma vie d'avant et de cherch.. Non, c'est bon, je crois que ça suffit. »

Le félin crème écoute attentivement ma réponse, il boit mes paroles. Il semble attendre la suite, comme si j'allais lui raconter ma vie. Eh bien non, désolé, je m'arrête là.

« Et de chercher quoi ? »

Je lui lance un regard bleu accusateur. De quel droit se permet il de poser des questions ? Il me paraît curieux, et lorsque que sa soif de connaissance sera tarie, que fera t - il ? J'ai déjà entendu parlé de lui, et ce n'est pas un gentil Chat Domestique innocent. Et je ne veux en aucun cas révéler à n'importe qui mon Passé, j'ai honte de mes actes et je le subis chaque jour. Jeune et bête, voilà ce que j'étais. S'il veut en savoir plus, qu'il m'apprenne quelque chose de lui. Qu'il ose simplement me demander plus m'agace. Qu'est ce que ça lui apportera ? Hein ? Rien. Je ne souris pas, et lui réponds fermement, le regard dur, un ton froid presque un feulement :

« Ce ne sont pas tes affaires. Mêle toi de ce qui te regarde. »

Puis, je me reprends, non pas que je crains ce chat, mais je le trouve bien trop curieux. Il pourrait dire plus que 'Ancien Chat de Clan'. Moi, j'ai fait un effort, et je lui ai dis plus que le strict minimum. Je m'assieds et ajoute, la voix maintenant ailleurs, déterminée ; ce n'est plus ce ton glacial emprunté juste à l'instant :

« Je tente de retrouver ce que j'ai laissé durant le Passé et de réparer mes nombreuses erreurs. Et toi ? Qui es tu vraiment ? Donne moi ton vrai nom, celui que tu aimes porter. Celui dont tu es fier, celui qui est le plus craint. Lorsque tu le prononce, la terre tremble et le ciel semble virer à l'orage, n'as tu pas deux identités ? Moi si, je suis actuellement un Domestique, certes, mais ce qui est derrière moi, ce jeune chat fier de sa force et de sa jeunesse, il n'était pas Domestique, il était Voyageur, il se battait, il n'avait peur de rien. Mais toi ? Qui es tu ? »

« Moi ? Je suis simplement le Chat que tout Clans déconseillent de rencontrer, mon ancien nom, celui que j'aime porter ? [...] Pourquoi j'ai été banni des Clans, de la forêt elle-même ? »


Coeur Ombrageux. Un nom bien sombre. Bah, après tout, les noms étaient censés représenter le chat, soit par son caractère ou son physique, alors, ce nom lui allait bien. Un banni ? Eh ben, ça devient lassant, dès que je débarque dans une nouvelle Forêt, un chat dans le même genre vient se vanter d'être le plus craint du territoire. banal, épuisant , minable. Non, je ne cherche pas les ennuis, et je sais que je ne serais pas de taille à l'affronter. Mais de toute façon, ça ne servira à rien de continuer sur ce sujet ci.

Je lui jette un coup d'oeil un peu dégoûté. Fier de tuer, fier d'être craint, fier d'hanter les rêves. Fier de gâcher des possibilités, fier de détruire des vies. Ce chat me semblait de plus en plus répugnant, mauvais. Tant pis, ce n'est pas mes paroles, bien que plus sages que les siennes, qui le raisonneront. Mieux vaut laisser tomber. Je soupire et lui réponds posément :

« Non, je n'en ai rien à faire. Ce ne sont pas mes affaires, je ne veux pas entrer dans ce jeu là. Si tu n'as rien d'autres à dire, je m'en vais. »