My heart is definitively broken.

Enroulée sur moi même, je me force à garder les yeux fermés. Je ne veux pas les ouvrir, je ne veux pas voir la vérité en face. Je pensais être forte, avoir agi au mieux. J'ai fait de mon mieux pour protéger les miens, laissant mes sentiments de côté les repoussant le plus loin possible pour qu'ils n'influencent pas mon jugement. Mais voilà qu'aujourd'hui je ne suis plus qu'un amas de muscle, de nerfs d'os et de sang sans la moindre âme pour les diriger. Mon esprit est parti en fumé en même temps que ma raison. J'ai l'impression que mes pattes ne me répondent plus, qu'elles sont déliées du reste de mon corps. Ma poitrine est douloureuse. On m'a arraché mon coeur, on l'a déchiré et mutilé en riant de ma souffrance. Aujourd'hui, à la place de celui-ci, il n'y a plus qu'un vide béant. Tout est devenu automatique. Les baptêmes, les patrouilles, les entrainements, tout cela se fait tout seul. C'est une routine que les années ont gravées dans mon cerveau si bien qu'il est facile de la répéter sans réfléchir aujourd'hui. Je refuse à mon esprit de retourner en arrière pour regarder les jours heureux. Revenir dans le présent serait trop douloureux. Bon dieu, pourquoi m'a-t-on offert neuf vies déjà ? En ce moment même mon plus grand rêve est qu'on me les reprenne. J'aurais dû accepter et fuir. J'aurais dû partir pour toujours avec lui. Mais pour quoi faire ? Pour mourir couverte de honte, loin de la forêt et de ceux que j'aime. Vivre cachée comme des vulgaires chats errants alors je suis à la tête d'un clan qui peut devenir le plus puissant de la forêt ? Pour laisser Crocs Argentés et Loup Gris détruire la forêt et la mutilé comme ils l'ont fait avec mon coeur, le sourire aux lèvres ? Trop de sentiments se bousculent aux portes de mon esprit fatigué. Epuisée mentalement, j'ai du mal à me nourrir correctement, à me lever à me rendre utile. Mais je me force, je repousse ces satanées limite. Ma détermination n'a pas fléchie et c'est tout ce qu'il me reste. Je rendrais mon Clan puissant et je le conduirai à son apogée. Après je pourrais m'éteindre en tant qu'Etoile et partir pour toujours loin de ces tourments quotidiens. Ils méritent mieux qu'une cheffe détruite aussi cruels soient-ils.

Dans mon dos, le granit qui fait mon antre est froid. J'aimerai avoir Etoile d'Argile près de moi pour me blottir contre lui. Mais depuis l'assemblée nous ne dormons plus ensemble. Les Clans sont redevenus les Clan. Chacun dans sa partie du Camp, c'est mieux ainsi. Mais sa chaleur me manque ainsi que son odeur qui reste perceptible dans mon antre. En ce moment même elle m'emplit les narines et me brûle les poumons. Suffoquant, je pousse un long soupir, retenant avec peine mes tremblements. J'ai envie de crier et d'évacuer toute cette peine qui me ronge. Ce feu qui me consument est trop dur à supporter. Détournant mon regard du point que je fixai, je me relève péniblement et tourne plusieurs fois sur moi même pour me recoucher. Je rabats ma queue sur les yeux pour ne plus rien voir. Je me sens seule mais je n'ai pas envie d'y remédier. Je suis mieux ainsi à souffrir de mes erreurs. Je le mérite. Moi qui avait toujours pensé que la vie ne pouvait pas être plus cruelle que ce que j'avais toujours connu. On n'a jamais touché le fond. On trouve toujours une faille qui nous entraine encore plus loin dans l'abysse. Mes yeux s'embuent et les larmes se mettent à couleur sans que je puisse les retenir. Elle trempe mes joues pendant que mes épaules se soulèvent à un rythme irrégulier. Poussant un petit cri de douleur, le vide niché dans ma poitrine grandit tandis que des griffes impitoyable me lacère tout le corps. Me repliant un peu plus sur moi même j'éclate en sanglots bruyants, trempant ma couche et moi même par la même occasion.

Lorsque le torrent se tarit je suis épuisée. Je ferme les paupières et laisse mon esprit vagabonder. Pleurer m'a fait du bien mais je me sens vide désormais. Un peu apaisée, je laisse le bruit des vagues me bercer doucement pendant que je sombre dans le sommeil.

Lorsque je rouvre les yeux, une grande plaine verdoyante s'étale devant moi. Je ne me demande pas où je suis. Je l'ai compris bien avant d'ouvrir les yeux. Un sentiment de sérénité m'envahit. Ils ne nous ont pas abandonnés. Après des lunes de silence voilà qu'un guerrier de jadis souhaite me parler. Renoncer à mon amour était donc la seule solution pour cela ? Le sacrifice en vaut-il la peine ? Toujours est-il que l'un d'eux m'attends. Mais qui ? Echo du Temps ? Etoile de Fougère ? D'un pas maladroit je me mets à avancer laissant mon instinct me guider. Enfin, un corps étoilé se fait visible. Je l'ai vu des milliers de fois, depuis mon enfance. Ma poitrine me lance, et ma tête se déchire. Je me retiens de m'écrouler au sol. Le pelage remplit d'étoile, le rendant magnifique, Coeur de Silex attend. Sans se retourner il parle de sa voix grave et étonnement rauque :

« - Alors comme ça, on me regrette beaucoup en bas ? Tiens donc. Si j'avais su que ma vie se terminerais comme ça ... »

Je ne sens plus rien si ce n'est qu'une culpabilité énorme. C'est ma faute s'il est mort et uniquement la mienne. Je m'avance en titubant, manquant de tomber à chaque pas. N'osant le toucher, je m'arrête à une longueur de queue de renard. Je sens son odeur mais je ne vois pas ses yeux perdus dans le vague. De cette voix brisée qui est devenue la mienne je lui réponds :

« - Ô Coeur de Silex je suis tellement désolée. C'est de ma faute, tu n'aurais jamais dû mourir. »

Les sanglots reprennent. J'ai l'impression d'être une chatonne abandonnée. De redevenir celle que j'avais été.

« - Je suis tellement désolée, hoquetai-je. Je m'en veux tellement.»

Cœur de Silex entendit Etoile d'Aurore s'avancer vers lui d'une démarche lourde et pesante. Le guerrier étoile crispa les yeux, retenant une larme de plus. Depuis l'accident, le chat blanc veillait tout les jours sur son ancienne chef. Elle n'était plus que l'ombre d'elle même. Cœur de Silex aurait dû être là. Pour aider son Clan. Pour remonter le moral à ceux qui l'ont perdu. Pour soutenir les siens. Pour que la vie continue ; malgré le choc causé par l'incendie. Etoile d'Aurore bredouilla d'une voix tremblante.

" Ô Coeur de Silex je suis tellement désolée. C'est de ma faute, tu n'aurais jamais dû mourir.

L'ancien lieutenant ouvrit les yeux, laissant couler ses pleurs. Cœur de Silex sentit qu'elle devait poursuivre ses paroles. Il la laissa donc continuer, attentif mais larmoyant.

- Je suis tellement désolée. Je m'en veux tellement.

Elle avait parlé d'un ton si désespéré, que Cœur de Silex conclut qu'elle avait besoin d'affection. Le vieux chat se tourna, trotta vers elle. Il enroula sa queue autour de son amie de toujours, et frotta sa joue contre celle d'Etoile d'Aurore. Il pleurait, et mouilla un peu le museau de sa camarade. En s'arrêtant, il baissa la tête et regarda la terre des vivants. Cette endroit lui manquait trop. Il s'adressa à Etoile d'Aurore, d'un ton accablé.

- Tout ce que tu me dis est faux. Le Clan des Etoiles m'a appelé car mon heure était venue. Je n'ai pas eu le choix. Mais si je pouvais revivre, je le ferais. Je n'ai pas profité de la vie, contrairement à ce que tu crois peut être. S'il y a une chose que j'ai apprise, c'est qu'il ne faut pas te lamenter de ton sort. Tu es vivante, c'est tout ce qui compte. Moi, je n'ai plus rien à faire maintenant. Je suis condamné à rester ici pour toujours, et sans avoir pu mener une vie correcte. Profites bien, et dis toi que quelqu'un là haut veille sur toi, et qu'il sera là au moindre faux pas ... "